Des vestiges millénaires de la culture des femmes ont été détruits
Depuis le 20 janvier 2018, l’État turc a engagé une guerre totale contre la région autonome d’Efrin, qui est membre de la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie. Cela fait plus d’une semaine que celle-ci est la cible d’attaques incessantes. Dans les bombardements et tirs de mortiers plus de 80 civils – dont beaucoup d’enfants – ont été tués et plus d’une centaine blessés. Ces derniers jours ce sont les anciens sites archéologiques de Nebi Huri (Cyrrhus) et d’Ain Dara ont été aussi pris pour cibles ; ce dernier a été complètement dévasté dans des frappes turques le 26 janvier. Les frappes résultent d’une action totalement délibérée, le site ne constituant jusqu’alors ni une position militaire des YPG/YPJ/SDF ni un emplacement stratégique.
Le temple d’Ain Dara daterait, selon les archéologues, du 13ème siècle avant Jésus-Christ. Il est l’une des traces de la tardive culture Hittite. Situé à 8 km au sud de la ville d’Afrin, il est considéré comme l’un des plus vieux temples de la région. Très probablement, ce centre était dédié à la déesse-mère Ishtar (ou Astarte) qui est l’un des symboles mésopotamiens des premières sociétés matricentrées et du principe d’une vie libre et égalitaire. Les éléments architecturaux les plus significatifs de l’ensemble étaient un très grand lion en basalte, ainsi que la façade et les murs intérieurs du temple qui montraient des centaines de reliefs finement gravés, comme des lions mais aussi d’autres créatures mythologiques (lions ailés à tête de femme, dieux des montagnes), palmettes et ornements géométriques. A l’entrée du temple, deux empreintes de pas, gravées dans la roche sur plus d’un mètre de long, symbolisaient la présence de la déesse. Ce site est ainsi d’une importance capitale pour la culture et l’histoire des femmes encore cachée à Afrin et au Rojava.
Avec cette attaque ciblée de l’État turc fasciste sur le temple d’Ain Dara, nous ne pouvons nous empêcher de penser aux destructions massives de sites archéologiques opérées par Daesh en Syrie et en Irak. De nombreux sites historiques reliés à l’histoire des civilisations comme la cité et les temples romains de Palmyre (Syrie), la cité assyrienne de Nimrod et la cité parthienne d’Hatra en Irak ont ainsi été dévastés.
Il y a à peine un an, une résolution du conseil de sécurité des Nations Unies condamnait Daesh et d’autres groupes islamistes en Syrie à propos de ces « destructions illégales de l’héritage culturel »1 et appelait les états membres à prendre des mesures pour protéger urgemment les sites archéologiques et culturels. Comme il l’affirmait alors, ce type de destructions peut constituer un « crime de guerre ». Mais nous touchons encore une fois aux limites de la prétendue universalité des lois internationales quand il s’agit d’aller à l’encontre des intérêts de la deuxième plus grande armée de l’OTAN. Au niveau international, nous faisons face à une hypocrisie sans ampleur : tandis que les actions de Daesh étaient condamnées à grand renfort de déclarations par toutes les institutions, les actes de l’État turc sont pour l’instant totalement ignorés.
Ces exactions de Daesh comme de la Turquie sont l’expression d’une tentative fasciste de détruire un héritage historique qui ne concorde pas avec les mythes nationaux ou religieux qu’ils ont construits. Pour l’État Turc aujourd’hui, en s’attaquant aux racines de leur identité, c’est bien de l’annihilation des kurdes en tant que peuple et nation dont il est question.
Le fait de viser particulièrement l’un des principaux sites témoignant de l’histoire des femmes relève par ailleurs d’une autre tentative de conservation de l’ancien ordre patriarcal.
Néanmoins, contre le fascisme, le peuple d’Afrin résiste et continuera de défendre son identité historique, la culture des déesses-mères et la révolution démocratique, écologique et des femmes du Nord de la Syrie.
Académie de Jinéologie