Décembre 2019, Tel Temir, Rojava,
Chère camarade Ceren Güneş,
Comment commencer cette lettre ? Comment puis-je exprimer avec des mots tout l’amour et la rage que j’ai en moi ? En étant toujours profondément dans la résistance de la défense du Rojava, toujours profondément dans les pensées et les souhaits de liberté de tant de camarades, comme tu l’avais été, toi aussi.
Née en Turquie, tu as rapidement commencé à être une militante des organisations révolutionnaires, portant en toi la plus belle perspective de femme combattante révolutionnaire et l’amour de tes camarades. Ta conviction t’a conduite jusqu’aux terres du Kurdistan, où tu as pris part à la lutte armée pour la défense de toutes les terres menacées d’oppression.
Ceci n’est pas une « lettre d’adieu ». Tout ce que j’ai appris à tes côtés m’aide à me souvenir de toi et à me rappeler pourquoi nous nous sommes rencontrées, pourquoi nos chemins se sont croisés.
Nous sommes arrivées toutes les deux au Rojava, à des époques très différentes, mais en partageant la décision de lutter, de construire et de défendre un nouvel avenir. Construire des liens solides entre camarades, affronter le fascisme, soutenir chaque femme et jeune fille qui grandit opprimée, lutter pour la liberté de chaque sœur et camarade enfermée dans les prisons, choisir de marcher aux côtés des personnes opprimées.
Mais oui… tu me manques.
Dès le début, j’ai pu voir ta force et ta lumière.
Combattante et déterminée, pleine de valeurs, accomplissant le sens du don de ta vie pour la lutte contre le fascisme et le capitalisme. J’ai eu la chance de partager à tes côtés des moments intenses de notre vie quotidienne, les conversations au clair de lune avec du thé chaud et des chants révolutionnaires, des moments de résistance. Ici, dans les villages et les villes, l’invasion des troupes fascistes turques et des bandes djihadistes se poursuit, et de la même manière que tu as participé à la défense de cette terre, tes camarades continuent d’avancer, car nous savons que c’est aussi ce que tu aurais fait.
Nous savons que notre lutte fait vivre les camarades tombées au combat, et nous rappelle les raisons pour lesquelles nous défendons les idées révolutionnaires, rendant encore plus grandes les valeurs que nous construisions ensemble.
J’aurai toujours à l’esprit ton initiative de construire la solidarité entre camarades, de connaître la lutte des différents mouvements féministes dans tous les endroits de ce monde, de rendre visible chaque révolte, de faire de l’internationalisme l’image la plus vivante pour la défense de l’autonomie des organisations de femmes.
J’ai vu en toi toute la valeur que tu as donnée aux camarades avec lesquelles tu as appris à lutter et à vivre en communauté. Pour moi, tu es une grande inspiration de courage et de bravoure. J’espère pouvoir continuer dans tes traces sur le chemin de ta marche, car ton effort fait déjà partie de notre histoire.
Cette histoire que nous construisons nous-mêmes, convaincues que lutter pour la vie est le seul moyen. Avec la décision claire que nous devons nous-mêmes nous élever avec force dans cette guerre.
Camarade Ceren, chaque fois que je me souviens de toi, je souris, car je sais que ton cœur révolutionnaire écrit l’histoire de toutes les femmes qui suivent tes pas. Ta décision et ton engagement seront une inspiration dans le monde entier à se lever et à se joindre à la lutte contre l’oppression et garderont la mémoire de toutes les femmes qui ont décidé comme toi, de donner leur vie pour construire une résistance contre le fascisme d’Erdogan, le silence de l’Europe et la complicité de la Russie et des USA.
Je t’écris depuis les villages de la ligne de défense de Tall Tamr. Les mêmes villes qui t’ont vu combattre, les mêmes qui sont brutalement attaquées par les soldats turcs et les groupes djihadistes. Ils peuvent utiliser toutes les armes de guerre qu’ils veulent, mais ils ne peuvent pas mettre fin à la résistance du peuple du Rojava, ils ne peuvent pas mettre fin au souvenir de toutes ces années de révolution et de rêves devenus réalité. Les racines de cette terre font déjà partie de l’exemple de la dignité que les mères, les filles, les grands-mères, les combattantes, les cuisinières, les médecins, les infirmières … sont en train de construire.
En t’écrivant, je me souviens des camarades internationalistes qui sont venues et ont combattu avec la plus forte conviction, du plus profond amour, pour la défense de ce territoire et des idées qui y vivent. ont choisi de répandre les idées révolutionnaires dans le monde, devenant une grande inspiration pour tous ceux qui comme moi ont décidé de venir, d’apprendre, de voir de nos propres yeux et de participer de nos propres mains à l’immense travail que les femmes camarades ont développé au Kurdistan. Şehîd Aynur Ada, Şehîd Ivanna Hofman, Şehîd Anna Campbell, Şehîd Legerin Ciya, Şehîd Sara Dorsin, Şehîd Andrea Wolf, Şehîd Ceren Güneş. Je me souviens de vous et je réaffirme la conviction que les femmes sont le moteur de la défense de cette vie sauvage.
D’autres jours de résistance sont encore à venir, et nous prendrons soin les unes des autres, nous nous battrons ensemble pour celles qui sont tombées et pour ceux qui sont à venir. A tous les camarades internationalistes qui se trouvent en train de combattre et de défendre le territoire de Rojava, à tous les camarades qui, bien qu’éloignés les uns des autres, partagent les mêmes pas et les mêmes décisions, pour vous tous, je continue à me convaincre chaque jour que notre lutte est la lutte pour la vie, et que bien que notre ennemi soit puissant, nous avons les armes les plus précieuses et les plus fortes, l’unité et le soutien collectif.
Camarade Şehîd Ceren Güneş, tes paroles de liberté sont plus vivantes et plus présentes que jamais pour moi. Je t’emmènerai avec moi dans mes pensées et dans mon cœur, faisant de nos jours le meilleur hommage, pour continuer et ne pas abandonner. Si je m’arrête un instant, je t’entends encore chanter des chants révolutionnaires en langue turque, dans la cuisine préparer le thé pour les camarades, et nous faire asseoir tous ensemble et partager de longs moments de conversation. Si je m’arrête un instant, je me souviens de ces nuits où, à côté d’autres camarades, nous avons discuté de la manière de continuer à lutter ensemble lorsque nos chemins se sépareront.
Et je continue à sourire, parce que notre chemin reste le même et ta mémoire m’apprend la valeur de tous les moments que nous partageons ensemble.
Jusqu’au dernier coin de ce monde, jusqu’à ce que nous soyons tous libres, nous ne nous arrêterons pas ! Nos pas et nos idées révolutionnaires nous font rester ensemble de toute façon, n’importe où. Une des camarades internationalistes que tu connaissais aussi m’a dit un jour, que le travail pour la libération des femmes qui se fait ici est si fort, que même avec des difficultés nous avançons toutes ensemble, que cet amour nous fait devenir « pour toujours ».
Je n’ai pas de meilleure façon pour te décrire… Camarade Ceren, nous sommes éternelles !
La terre où tu reposes remplit de sens l’infatigable résistance des combattants, la terre du Rojava se souviendra de toi dans chaque nouvelle camarade qui rejoindra la révolution. Et dans mon cœur, je te prends avec moi chère sœur, parce que ceux qui se battent ne meurent jamais et ce fait, ni les armées fascistes ni le capitalisme le plus extrême ne sont capables de changer. Hasta siempre, et tu es toujours avec nous !
Şehîd Namirin. Résister, c’est vivre, dans n’importe quel coin de ce monde…
De la part d’une de tes camarades internationalistes. Toujours avec toi.