Si vous roulez sur la route qui va de de Kirkouk à Mossoul, vous vous retrouvez imprégné par la poussière et l’odeur âcre de l’essence. Après un parcours dans un panorama monotone et sans fin, le camp de réfugiés de Maxmur apparaît enfin au loin. Les nombreux jardins et arbres donnent l’impression de s’approcher d’une oasis dans le désert.
Le camp est situé entre Kirkouk, Mossoul et Erbil. La majorité des quelque 12 000 personnes qui y vivent sont originaires de la région du Botan, dans le nord du Kurdistan. Après les incendies de villages, les pillages et les expulsions délibérées que l’État turc a mené au début des années 1990, beaucoup ont été forcés de quitter leurs maisons. C’est à ce moment qu’à commencé l’histoire de l’exode des habitants de Maxmur. Une histoire douloureuses où les difficultés ont été inimaginables, mais aussi une histoire de lutte pour défendre sa dignité, une histoire de résilience. Depuis son départ du Botan, le camp a changé cinq fois d’emplacement, faisant l’objet d’attaques constantes de la part de l’État fasciste turc. Raids aériens, opérations des services secrets, attaques des milices islamistes. Ces attaques sont soutenues et parfois même menées par le PDK, dont la pratique s’apparente à celle d’une branche des services secrets turcs (MIT).
Jusqu’à ce que les premières structures d’hébergement permanentes soient érigées en 2003, les tentes étaient la seule protection contre les conditions météorologiques. Cela, alors que des températures de plus de 50°C sont la norme pendant le long été de Maxmur. Au début, il n’y avait même pas de tentes. La situation actuelle des habitants de Maxmur, qui peuvent aujourd’hui plus ou moins satisfaire leurs besoins vitaux, est le résultat d’une longue lutte. Lorsque la première école a été fondée dans une tente en 1994, il n’y avait même pas de crayons pour les élèves, ce qui n’a pas empêché d’organiser un enseignement en langue kurde. Une liberté qui n’existe toujours pas en Turquie aujourd’hui.
Des drones armés de l’État d’occupation turc survolent quotidiennement le camp de réfugiés, situé pourtant à plus de 200 km de la frontière avec la Turquie. L’État fasciste turc ne ménage ni ses dépenses ni ses efforts pour tenter d’utiliser les habitants du camps et en particulier les jeunes à ses propres fins. Il n’y a pratiquement pas de téléphone portable dans le camp sur lequel un agent du MIT n’a pas appelé au moins une fois. Il s’agit parfois de menaces physiques, en particulier à l’encontre de parents vivant en Turquie, parfois d’incitations matérielles. Un autre moyen utilisé par les services secrets consiste à utiliser drogue et prostitution afin de contrôler tout particulièrement les jeunes. Lorsque des personnes quittent le camp pour se rendre dans d’autres villes, que ce soit pour travailler, étudier ou se faire soigner, l’ennemi ne ménage pas ses efforts. Une autre tactique largement utilisée est de provoquer l’émigration vers l’Europe. Lorsque l’État islamique a lancé une attaque éclair contre Mossoul en 2014 et menacé de se répandre partout, les forces de l’armée irakienne et du PDK en charge ont tout lâché.
Dans ce contexte, un groupe des Forces de défense du peuple (HPG) s’est précipité à Maxmur pour éviter le pire. En conséquence, un petit contingent de guérilleros du HPG est resté pour protéger le camp contre d’éventuelles attaques.
Dans ces circonstances difficiles, la société du camp s’organise de manière radicalement démocratique selon le paradigme de Rêber APO. De la commune au Conseil du peuple, en passant par le Conseil des femmes et le Conseil de la jeunesse, les organes du confédéralisme démocratique se sont mis en place et se sont animés. Dans le secteur économique, le nombre de coopératives augmente et la transformation économique progresse malgré les obstacles posés par l’embargo existant.
Les écoles de Maxmur accueillent aujourd’hui près de 4 000 élèves. De la maternelle au lycée, environ 200 enseignants répondent aux besoins des enfants et des jeunes. Toutefois, l’éducation étant d’une importance capitale, il existe également diverses académies où la population est formée à des sujets tels que la jinologie, l’écologie, la démocratie et bien d’autres encore.
Alors que les soins de santé étaient absolument désastreux, surtout dans les premières années, il existe aujourd’hui deux hôpitaux à Maxmur qui soignent non seulement la population du camp, mais aussi de nombreux patients des environs.
Les histoires des habitants de Maxmur ne suffisent pas à remplir des livres, mais des bibliothèques. D’innombrables familles ont perdu des membres lors d’attaques contre le camp. De nombreux fils et filles du camp sont devenus des martyrs de la lutte armée. Que ce soit dans les montagnes ou au Rojava. Mais au lieu d’être victimes de ces circonstances difficiles, les gens conservent une dignité extraordinaire et vivent la tête haute.
Il est absolument impossible de faire comprendre l’histoire et la réalité de ces personnes en quelques lignes. Je peux au moins mentionner le profond respect que l’on ressent en apprenant à les connaître et à connaître leur lutte.
Sans qu’il ne soit besoin d’oublier la réalité des habitants de Maxmur, le camp a cette force de parvenir à nous montrer qu’un autre monde est possible et à nous en montrer le chemin. Au-delà des nécessités créées par le statut de camp de réfugiés, c’est un impressionnant processus de libération qui s’opère au sein de sa société de Maxmur. Guidée par la philosophie de la liberté de Rêber APO, la société se transforme pas à pas. L’importance révolutionnaire du camp n’est un secret pour personne, surtout pas pour ses ennemis, et cet aspect suffit à justifier des attaques meurtrières et à faire taire la communauté internationale.
Cette année encore, le camp n’est pas épargné par les attaques. Au printemps, c’est l’armée irakienne qui s’est approché du camp à l’aube dans des véhicules de combat blindés. Comme l’année précédente, l’objectif était de clôturer le camp. Le gouvernement irakien n’agit pas dans son propre intérêt, mais sous la pression de l’État turc, qui menace d’interrompre le cours du Tigre, vital pour l’Irak. Les habitants s’opposent immédiatement aux soldats. Sur la ligne de front, des mères de famille bloquent la route d’accès. Lorsque les soldats s’obstinent, les jeunes répondent aux attaques par des pierres, ce qui fait fuir les soldats. À ce moment, les soldats irakiens ouvrent le feu. Un jeune est touché à la poitrine par une balle et n’échappe à la mort que par chance. Le siège de l’armée irakienne dure 16 jours. Pendant ce temps, toute la population fait le guet aux points névralgiques et, à l’approche des soldats, les fait fuir. Finalement, l’opération est abandonné.
Alors que le conflit israélo-palestinien éclipse tout le reste dans les médias, l’État d’occupation turc étend ses attaques contre le Rojava. Toutes les structures d’approvisionnement sont visées et le nombre de victimes civiles ne cesse d’augmenter.
Mais Erdogan saisit également l’opportunité en ce qui concerne Maxmur et attaque le camp à l’insu de l’opinion publique mondiale.
Le 7 octobre, un drone de combat turc bombarde le parvis d’une mosquée. Une femme et deux enfants sont blessés. Une autre attaque de drone suit une semaine plus tard. Là encore, une femme est grièvement blessée.
Le 13 octobre, un drone turc bombarde une voiture près d’Erbil. Les occupants sont tous originaires du camp. Trois passagères sont blessées. Le conducteur du véhicule est Dilovan Işlek, qui vient de rejoindre le parti. La roquette touche le côté conducteur et Dilovan, 27 ans, devient şehîd (martyr).
Bien que Maxmur soit un camp de réfugiés et que l’ONU en soit donc théoriquement responsable, elle ne ne réagit aucunement aux attaques. Une excuse fréquemment utilisée est la présence de forces de guérilla à proximité du camp. On prétend qu’il s’agit d’un camp militaire. Afin de dissiper cette propagande et parce que la tâche initiale des guérilleros autour de Maxmur avait été accomplie, les guérilleros ont retiré leurs forces en septembre. Suite à cette annonce, une bataille a éclaté entre l’Irak et le PDK sur le mont Qereçox, au pied duquel se trouve le camp. Parmi les victimes du PDK se trouve un membre des services secrets turcs, ce qui confirme une fois de plus une évidence.
Il n’est certainement pas nouveau que l’ONU, l’UE et d’autres États ne sont d’aucune aide pour un peuple qui a une idée de la liberté et qui n’est pas prêt à se vendre. Les contes de fées sur l’humanisme de l’UE et de l’ONU ne sont plus crédibles pour personne, et les habitants de Maxmur ne le savent que trop bien. La solidarité ne peut être attendue que de la société démocratique mondiale. Le fait que des histoires comme celle de Şehîd Dilovan soient entendues en dehors du Kurdistan et que les attaques de l’État fasciste turc ne passent pas inaperçues repose uniquement sur le pouvoir des défenseurs de la liberté dans le monde entier, et surtout de la jeunesse internationaliste.
Sipan Vidanova,
16/11/2023