La révolution du Rojava n’aurait pas été possible sans les années de résistance, les expériences et les travaux idéologiques d’Abdullah Öcalan et du Parti des travailleurs du Kurdistan. C’est pourquoi, en tant que révolutionnaires au Rojava, nous devons connaître l’histoire de la lutte kurde, depuis ses premiers jours. Le 15 août est un jour significatif pour parler de cette histoire. Le 15 a marqué le début de la lutte armée….
Publié pour la première fois dans Stêrka Ciwan (magazine de la Jeunesse)
PARTIE I – Histoire de la lutte armée du PKK
L’histoire du PKK, qui a commencé avec l’histoire des Kurdes s’élevant contre leurs colonisateurs, est parcourue de nombreux jalons. Bien sûr, le PKK représente aujourd’hui bien plus que la libération du peuple kurde et du Kurdistan de leurs oppresseurs et occupants. Le changement de paradigme de Rêber APO, qui a restructuré le PKK pour créer une société révolutionnaire basée sur les principes de la démocratie, de l’écologie et de la libération des femmes, signifie que le PKK ne peut plus se satisfaire de la libération nationale. Les luttes héroïques et les sacrifices des pionniers de ce mouvement ont déjà permis au PKK de poursuivre sa marche triomphale et de rester invincible. La lutte des Kurdes pour une vie libérée du patriarcat, des États-nations et du capitalisme au Kurdistan et au Moyen-Orient joue un rôle indispensable et central pour libérer les peuples des mêmes maladies ailleurs dans le monde. Sur ce chemin, il y a une chose qu’aucun révolutionnaire ne pourra jamais oublier : pas de victoire sans lutte armée. Le 15 août 1984, commémoré au Kurdistan comme le jour de la « première balle », est l’un de ces jalons qui méritent d’être revisités.
Le PKK a été fondé le 27 novembre 1978 à Amed. Bien qu’il n’ait pas encore été déclaré publiquement, l’État turc était conscient de cette évolution et de ses conséquences potentielles pour le Kurdistan qu’il avait colonisé. Un mois plus tard, le 19 décembre, l’un des massacres les plus brutaux de l’histoire turque a eu lieu à Mereş, où le peuple avait beaucoup de sympathie pour les jeunes révolutionnaires alors connus sous le nom d’ « Apoïstes ». Dirigés et guidés par les Loups Gris, l’aile de la jeunesse du MHP raciste, les fascistes et les djihadistes ont attaqué la population kurde alévie pendant une semaine entière, sans aucune résistance de la police ou de la gendarmerie. L’État a profité de la réaction publique au massacre, qui a été organisé et perpétré par l’extralégal Özel Harp Dairesi (le Département spécial de guerre) au plus profond de l’État, pour déclarer la loi martiale au Kurdistan et dans quelques autres villes. Rêber APO y voit la réponse de l’État à la création du Parti et le premier signe qu’un coup d’État militaire est prévu. En moins de deux ans, le 12 septembre 1980, l’armée turque a pris le pouvoir par un coup d’État. Bien que plusieurs cadres, militants et sympathisants du Parti aient été arrêtés, Rêber APO a réussi à en placer beaucoup à l’étranger avant le coup d’État militaire fasciste. Ce geste leur a donné l’occasion de se protéger et de s’organiser en vue d’une lutte armée.
Dans ce qui a suivi, une vague d’arrestations sans précédent a anéanti tous les mouvements, partis et organisations politiques critiques à l’égard de l’État. Plus de 650 000 arrestations ont fait en sorte qu’il n’y ait pas de résistance immédiate au coup d’État fasciste à l’intérieur du pays. Ceux qui ont pu se rendre à l’étranger ont eu deux options : fuir et ne jamais regarder en arrière ou fuir et s’organiser pour revenir et prendre leur revanche. Ce qui distingue Rêber APO et PKK des leaders et des mouvements qui ont été éliminés par le coup d’État, c’est qu’ils ont choisi la seconde option. Depuis le jour où ils ont quitté le pays, ils ont travaillé pour un retour en force. Ils ont été inspirés par la résistance héroïque des cadres du PKK dans la prison de Diyarbakır contre la torture brutale, la dégradation et l’annihilation. Surtout, contre la trahison.
Le coup d’État militaire fasciste visait en particulier le mouvement de libération kurde et l’espoir qu’il donnait au peuple. Ce que les gens ont vécu au Kurdistan à la suite du coup d’État, la torture systématique et déshumanisante de la tristement célèbre prison de Diyarbakır en témoigne. Sans parler de sympathiser avec le PKK, le simple fait d’être kurde était une raison suffisante pour être torturé de la manière la plus violente qu’on puisse imaginer. Tout le Kurdistan a été transformé en prison à ciel ouvert, et la prison de Diyarbakır a été construite dans le seul but d’anéantir le PKK et tout espoir de résistance au coup d’État. La conception intérieure spécifique des bâtiments de la prison ainsi que les règles imposées aux détenus, le personnel spécialement choisi pour le travail et la ville où il a été construit ont donné un message clair : le PKK devait être détruit là où il était né. Quand le lieutenant fasciste, responsable des tortures infligées aux prisonniers grecs lors de l’invasion turque de Chypre en 1974 et nommé directement par le général de l’armée putchiste Kenan Evren à la prison de Diyarbakır, est arrivé, il a été très clair avec les prisonniers :
« Je suis le lieutenant Esat Oktay Yıldıran, chef de la sécurité intérieure à la prison militaire de Diyarbakır. Toi, écoute-moi attentivement. Cette prison a des règles. Vous obéirez à ces règles. Ce n’est pas une simple prison, mais une école militaire. Si vous respectez les règles, vous serez à l’aise ici. Si vous obéissez aux règles, l’État vous laissera vivre. Si vous respectez les règles, tous vos besoins seront satisfaits. Les idées déviantes comme le communisme, le marxisme, le socialisme et le Kurdisme, vous allez les déraciner de votre tête. Si ce n’est pas le cas, je sais comment les éliminer. Vous avez trois jours. »
Sa mission était claire et précise : chacun des prisonniers devait être mis à genoux et trahir sa cause. Ce n’est qu’alors que l’espoir créé pourrait être détruit. Plusieurs prisonniers n’ont en effet pas pu résister à la torture et ont accepté les règles de la prison, plusieurs autres ont même trahi et dénoncé leurs camarades. Le groupe qui n’arrêtait pas de résister devenait de plus en plus petit, de jour en jour. Les cadres dirigeants de la prison ont vu que la situation allait de mal en pis, et les moyens par lesquels ils pouvaient résister à cette tendance étaient presque inexistants. Mais un acte unique a tout changé. Alors que le soleil se lève à l’heure la plus sombre, le 21 mars 1982, Mazlum Doğan, membre du comité central du PKK et l’un des leaders de la résistance, allume trois allumettes et se pend dans sa cellule. La célébration de Newroz par Mazlum Doğan était un message clair à tous les prisonniers : « La reddition mène à la trahison, la résistance mène à la victoire ».
La prison entière subit un choc profond. Mazlum Doğan était aimé par chacun d’entre eux, il était l’âme de la résistance contre un système de torture visant à déshumaniser quiconque y résistait. Son acte était le début d’une nouvelle ère dans la prison. Il n’y avait qu’un seul moyen honorable de s’en sortir, et c’était de le suivre. Deux mois plus tard, le jour anniversaire du meurtre de Haki Karer, quatre de ses camarades ont ravivé le feu de Newroz de Mazlum Doğan. Ferhat Kurtay, Necmi Öner, Mahmut Zengin et Eşref Anyık ont peint le portrait de Mazlum Doğan sur le mur de leur cellule et devant celui-ci se sont immolés par le feu. Quand ils ont allumé le feu, ils ont commencé à crier « A bas le colonialisme ! » tous ensemble. Leurs co-détenus ont été réveillés par la fumée et les bruits et ont essayé d’éteindre le feu. Sortant du feu, la voix de Ferhat Kurtay intervint avec toute sa détermination et il devint clair pour tous ceux qui venaient de se réveiller pour voir leur action historique : « Ne versez pas d’eau ! Éteindre le feu est une trahison ! C’est une action, rendez le feu plus fort ! »
Dans la prison, la résistance redevenait une option. La résistance n’était pas seulement contre la torture insupportable de la part de l’ennemi, mais aussi contre la trahison. Avant le coup d’État, le PKK était bien parti pour déclencher un soulèvement populaire au Kurdistan contre les collaborateurs, principalement les seigneurs féodaux et les chefs religieux, les forces armées des colonisateurs et finalement l’Etat turc occupant, avec toutes ses institutions. Toutes les autres insurrections et rébellions de l’histoire kurde ont échoué, un autre échec pourrait signifier qu’il ne serait plus possible de parler des Kurdes et de leur identité. Les révolutionnaires sont entrés dans la prison comme pionniers d’un réveil au Kurdistan, une énorme menace pour l’État fasciste turc qui a été construit sur la colonisation et l’exploitation du Kurdistan. C’était aussi une menace pour l’identité raciste turque, qui était fondée sur le déni et la destruction de l’identité kurde. La prison avait pour mission de faire que tous les prisonniers regrettent et renoncent à ce qu’ils et elles avaient fait et d’en sortir en tant que kémalistes convaincus et fiers d’être Turcs. Pour les cadres et les militants du PKK, cela signifiait trahir leur idéologie, leurs martyrs, le Parti et le peuple. La torture fut conçue de telle sorte que la trahison était la seule option possible. C’est pourquoi l’action de Mazlum Doğan a été un tournant : il a montré une autre voie de sortie, et les autres ont répondu à son appel. Tous les prisonniers étaient maintenant sous l’influence des actions de Mazlum Doğan et des autres, et attendaient que quelqu’un commence une plus grande résistance à travers la prison. Il était maintenant temps d’organiser la résistance dans toute la prison.
Le 14 juillet 1982, alors qu’il assistait à l’un des procès simulés hors de la prison, Hayri Durmuş, membre du comité central du PKK et leader influent de la résistance, demanda avec insistance à prendre la parole devant la cour. Quand on lui permit de parler, il dit : « Je parle au nom de la lutte pour la liberté. En tant que combattant de la liberté de mon peuple, pour protester contre vos pratiques sauvages, je vais commencer un jeûne de mort à partir de maintenant ». Cinq autres personnes dans la salle d’audience ont immédiatement déclaré qu’elles le rejoignaient dans le jeûne mortel. Dans les jours qui suivirent, leur nombre augmenta et la Grande Résistance de la Grève Mortelle de la Faim mit à genoux Esat Oktay Yıldıran et sa torture systématique, ses généraux fascistes et le régime militaire. L’action de résistance individuelle de Mazlum Doğan s’est transformée en une résistance organisée à l’échelle de la prison lorsque Hayri Durmuş est entré dans une grève à la mort et que d’autres l’ont rejoint. Dans la salle d’audience, Hayri Durmuş a terminé son discours par les mots suivants : « Ceux qui disent qu’ils se battront pour ce peuple doivent baser leur combat sur la lutte armée. Sans une résistance armée, le colonialisme ne pourra jamais être vaincu ».
Dans cette prison, le PKK a appris la réalité de l’ennemi et toute sa brutalité. C’était un appel à commencer la lutte armée que Rêber APO avait planifiée. Son appel a été entendu et a reçu une réponse le 15 août 1984.
PARTIE II – Histoire de la lutte armée du PKK
Le PKK est apparu comme un mouvement de libération nationale qui a fondé son idéologie sur une thèse puissante : le Kurdistan est une colonie. Bien qu’il s’agisse d’un argument commun à tous les mouvements de libération nationale dans le monde, il s’est avéré être un développement révolutionnaire au Kurdistan. L’époque, la situation au Kurdistan (en particulier dans le nord du Kurdistan) étaient caractérisées par la négation. Elle est le résultat d’une politique colonialiste d’assimilation de plusieurs décennies visant à l’effacement complet de l’identité kurde. Contrairement à d’autres cas de colonisation, qui se préoccupent généralement davantage de l’exploitation économique, la colonisation turque avait et a toujours comme priorité la colonisation culturelle. Dans ces circonstances, la lutte armée s’est avérée être pour nous un développement profondément émancipateur et autonomisant. Et elle l’est toujours. C’est pourquoi nous célébrons le 15 août comme le Jour de la Résurrection.
La situation kurde jusqu’à la première balle
En 1923, le Traité de Lausanne a divisé le Kurdistan en quatre parties, relevant respectivement de l’hégémonie de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie. Les conséquences de ce traité ont été rendues encore plus insupportables pour les Kurdes par une autre situation contingente. Les quatre États étaient en train de construire leurs propres États-nations. Ce processus a nécessité la création d’une nouvelle identité nationale pour chacun d’entre eux. Comme l’exige la logique de la construction de l’État-nation, ces nouvelles identités étaient intrinsèquement racistes et encourageaient une seule ethnicité, une seule langue, une seule religion, etc. au détriment des cultures qui cohabitaient historiquement dans chacune d’elles. Il en a résulté les nationalismes turc, persan et arabe inséparablement liés au racisme contre les membres d’autres nations de ces États-nations.
En Turquie, le processus de construction de l’État-nation est particulièrement hostile aux autres identités. Ce processus est rempli de massacres et de génocides brutaux, dont le génocide arménien, le génocide assyrien, le génocide grec et le génocide du Pontus et le génocide de Dersim. Ces événements démontrent clairement la nature de la politique de l’État à l’égard des membres d’autres nations en Turquie. La politique raciste de l’État turc peut être résumée par une citation de Mahmut Esat Bozkurt, l’un des cadres kémalistes les plus influents de la première phase de la république, architecte de la constitution turque et plusieurs fois ministre : « Le Turc est le seul maître de cette terre, son seul propriétaire. Ceux qui ne sont pas de la race turque pure n’ont qu’un seul droit : le droit d’être un serviteur, le droit d’être un esclave. Que l’ami et l’ennemi, et même les montagnes, sachent que c’est la vérité ».
Bien que les Kurdes aient résisté à la négation de leur existence et de leur droit à l’autodétermination, qu’ils croyaient garanti par leur alliance avec Mustafa Kemal pendant la guerre d’indépendance turque, ce fut un échec. Plusieurs rébellions, dont la rébellion du cheikh Said, la rébellion d’Agirî et la rébellion de Dersim, sont apparues sous la forme d’une résistance aux tentatives turques d’imposer son régime colonial au Kurdistan du Nord. Si toutes les rébellions ont échoué, c’est parce qu’elles sont restées régionales et n’ont pas pu mobiliser une plus grande partie de la population kurde sous la même bannière. L’absence d’un leadership influent s’est avérée fatale. Après le génocide de Dersim en 1938, le Kurdistan du Nord était pratiquement sous occupation turque. L’occupation militaire a été complétée par l’occupation politique, économique et enfin culturelle. Les nouvelles générations de la jeunesse kurde ont été élevées dans des institutions coloniales en tant que Turcs et tout ce qui a trait aux Kurdes a été interdit de la vie publique. L’occupation culturelle et sociale du Kurdistan pénétrait si profondément dans la société kurde qu’elle commençait à être perçue comme l’état naturel des choses. Le fait que l’État turc ait pu parvenir à ce résultat en quelques décennies seulement est dû à la brutalité même avec laquelle l’identité turque a été imposée aux Kurdes. Au début des années 1970, le résultat final de ce processus dans le nord du Kurdistan a été une nation réduite au silence, au bord de l’extinction culturelle. Les Kurdes avaient peur de s’exprimer dans leur langue maternelle et de contredire les politiques officielles de l’État. Même parler des massacres et des génocides qu’ils et elles avaient subis récemment était considéré comme dangereux. Le Kurdistan était désormais une colonie, mais il n’était pas perçu comme tel.
L’extrême normalisation du colonialisme et la quasi-disparition de la résistance à celui-ci font de la colonisation au Kurdistan un cas unique. Aucun autre mouvement de libération nationale, comme ceux du Vietnam, de Cuba, d’Algérie, de Palestine ou d’Afrique du Sud, n’a dû surmonter le problème unique auquel le PKK était confronté : une nation qui ignorait son existence. Le PKK a dû convaincre les Kurdes qu’ils ne sont pas Turcs, mais Kurdes. C’est pourquoi la thèse de Rêber APO selon laquelle le Kurdistan est une colonie était si puissante. Il a refusé de discuter de l’existence ou non des Kurdes, il nous a plutôt enseigné comment nous en sommes venus à nier notre propre existence. L’élaboration par Rêber APO du colonialisme au Kurdistan avait une conséquence immanente : sans lutte armée, le colonialisme ne peut être vaincu.
Le début de la lutte armée
Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce texte, les cadres du PKK qui ont fait preuve d’une résistance héroïque dans la prison de Diyarbakır ont souligné l’urgence de s’engager dans la lutte armée. La Grande Résistance de la Grève Mortelle de la Faim a déchiré les espoirs des colonialistes de détruire le PKK dans son lieu de naissance. Les résistants de la prison ont rempli leur mission historique en défendant leur idéologie sous les tortures les plus humiliantes et les plus déshumanisantes et ont donné un message clair à celles et ceux qui étaient dehors : la lutte armée devait commencer.
Rêber APO a été en mesure de déplacer de nombreux cadres du PKK hors de Turquie juste avant le coup d’État fasciste qui a eu lieu. Il a pris contact et établi des relations avec des organisations palestiniennes, qui ont fourni au PKK une formation militaire. Dans les camps libanais, Rêber APO a entamé un processus intensif de formation idéologique et militaire pour les membres du PKK, parallèlement à la résistance en cours dans la prison. En 1982, alors que la Grande Résistance prenait place, une décision historique a été prise par le 2e Congrès du PKK, de retourner au Kurdistan et d’entamer la lutte armée contre l’Etat colonial turc. Au moment où le coup d’Etat militaire liquidait toute la gauche turque et kurde, le PKK ne faisait que commencer. Après deux ans de préparation, le 15 août 1984, le PKK a tiré sa première balle, mais pas seulement sur les colonialistes. Plus important encore, c’était une balle tirée en même temps sur la mentalité kurde qui a accepté le colonialisme.
Quels ont été les développements ?
Aujourd’hui, nous célébrons le 15 août comme le jour de la Résurrection dans tout le Kurdistan et à l’étranger. Il y a 34 ans, un petit nombre de guérilleros kurdes à Dihê (en turc : Eruh) et à Şemzînan ont ciblé les colonisateurs de leur peuple dans un effort coordonné d’attaques armées. Les actions étaient prévues pour annoncer la création du Hêzên Rizgariya Kurdistan (HRK – Forces de libération du Kurdistan) en mémoire des martyrs de la résistance dans la prison. La déclaration fondatrice a été imprimée en grand nombre et distribuée à la population par les guérilleros. La déclaration expliquait la nécessité d’une lutte armée et du HRK : « Le colonialisme barbare turc, qui a acquis un caractère fasciste avec le coup d’Etat militaire fasciste du 12 septembre, a commencé à mettre en œuvre sa politique de répression et de massacre à son niveau le plus avancé et selon les méthodes les plus sauvages qui soient. Les objectifs du colonialisme fasciste et l’avenir qu’il envisage pour notre peuple sont très clairs : nous détruire en tant que nation et peuple soumis à l’esclavage colonialiste, transformer le Kurdistan et le peuple kurde en régions de la Turquie et en nation turque, faire vivre notre peuple en esclaves au service de leurs maîtres. Sous l’hégémonie fasciste colonialiste, l’avenir national et social de notre peuple est en danger. Il n’y a plus de possibilité d’une vie humaine et honorable au Kurdistan. Aujourd’hui, c’est un devoir humain absolu et primordial d’arrêter cette évolution. Dans les circonstances de la guerre et du massacre colonialistes fascistes en cours, notre peuple n’a d’autre choix que de prendre les armes et de commencer une lutte armée. Dans ces circonstances, afin d’assurer la libération nationale et sociale de notre peuple du colonialisme fasciste, de poursuivre sa lutte pour créer un avenir indépendant et libre par les armes, le Hêzên Rizgariya Kurdistan a été fondé ».
Les guérilleros s’y préparaient depuis des années. Après l’arrivée du camarade chargé d’informer les guérilleros des plans pour le 15 août, la déclaration a été lue dans son ensemble. Dans son journal, le commandant Egîd évoque la vague de joie impatiente parmi les guérilleros à ce moment précis. Il allait être responsable de l’Unité de propagande armée du 14 juillet, créée à la mémoire de ceux qui sont tombés martyrs lors de la Grande Résistance de la Grève Mortelle de la Faim. La cible de son unité était les institutions coloniales de la petite ville de Dihê. Deux autres unités de ce type ont été créées. L’Unité de propagande armée du 21 mars, à la mémoire de Mazlum Doğan, dont la cible était Şemzînan, et l’Unité de propagande armée du 18 mai, à la mémoire de Haki Karer et des quatre personnes qui se sont immolées dans le donjon, avec pour cible Şax. Sur les trois attaques prévues, seules celles de Dihê et de Şemzînan ont effectivement eu lieu, toutes deux à 21h30 le 15 août 1984. L’attaque de Dihê est plus connue que celle de Şemzînan pour deux raisons. D’abord, Heval Egîd est devenu plus tard un commandant de guérilla légendaire pour sa pratique militaire et idéologique, et deuxièmement, l’action de guérilla à Dihê a mieux réussi à atteindre ses objectifs.
Sous le commandement d’Heval Egîd, les guérilleros ont pris le poste militaire avec les soldats à l’intérieur en un temps relativement court. Certains soldats leur ont même dit qu’ils aimeraient se joindre à la guérilla, mais cela n’a pas été accepté. Pendant ce temps, la déclaration fondatrice du HRK était lue avec les haut-parleurs de la mosquée. Dans son journal, le commandant Egîd explique ce moment : « Le camarade lisant la déclaration fondatrice a incorporé des parties d’un poème dans la déclaration à cause de son enthousiasme ». Peu de temps après, après avoir consulté les habitants de la ville, ils ont ouvert les portes de la prison et libéré les prisonniers, tandis que les autres guérilleros distribuaient des déclarations imprimées et des banderoles dans les cafés de la région. Les guérilleros ont pris tellement d’armes et de munitions à l’ennemi qu’ils ont dû aussi prendre un camion appartenant à la Direction coloniale des routes, des eaux et de l’électricité pour les charger. Deux postes de télévision à l’intérieur du poste militaire, la voiture du général de l’armée, un camion militaire, le bâtiment du gouvernement, la banque et le bureau de poste ont été incendiés. Après avoir tenu la ville pendant quelques heures, l’unité sous le commandement d’Heval Egîd est partie à la montagne. Le seul problème qu’ils avaient était de savoir comment porter le lourd chargement d’armes qu’ils venaient de capturer. Dans le journal, le commandant Egîd note : « A ce moment-là, je me suis dit : La ville d’Eruh, dont la plupart des gens ne connaissent même pas l’existence, sera désormais un lieu que tout le monde connaîtra très bien. Et c’est ainsi qu’on parlera des Kurdes dans le monde ».
C’était un jour historique. En ce qui concerne son importance, Rêber APO a fait l’évaluation suivante en 1986 :
« L’Initiative du 15 août, qui a été entreprise pour faire avancer la résistance et pour maintenir à tout prix son drapeau levé, a ajouté à notre histoire de nouvelles pages de résistance avec des significations plus profondes. Désormais, la guerre populaire prolongée et ses héros, dont la grandeur a fixé l’ordre du jour au Kurdistan, auront leur mot à dire. Désormais, chaque jour et chaque heure dans ce pays sera témoin de l’épopée de notre guerre de libération nationale et de ses héros. »